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La crise alimentaire en Afrique sahélo-soudanienne : causes et remèdes

Synthèse de la conférence de Marc Dufumier au CCFN le jeudi 19 avril

Pour alimenter la réflexion nigérienne sur la politique agricole et notamment la politique foncière, le secrétariat permanent du Code Rural a proposé, dans le cadre de la fête de la science organisée sous l’égide du ministère de l’Enseignement Moyen, Supérieur et de la Recherche Scientifique et de l’Ambassade de France au Niger, une conférence de Marc Dufumier sur la crise alimentaire. Cette conférence a été l’occasion pour ce professeur émérite d’agriculture comparée et de développement agricole à l’AgroParisTech de mettre à mal un certain nombre d’idées reçues sur les causes de la crise alimentaire et les pistes de solution.

Production agricole et pauvreté

C’est bien plus la pauvreté que l’insuffisance globale des productions agricoles qui explique pourquoi près de un milliard de personnes souffrent encore de la faim dans le monde. Á l’échelle mondiale, la production végétale dépasse en effet déjà les 330 kg d’équivalent céréales, en moyenne annuelle par habitant, alors même qu’il n’en faudrait qu’environ 200 kg pour que chaque personne puisse satisfaire correctement ses besoins vivriers.

Le paradoxe est que pour plus des deux tiers, ceux qui souffrent de nos jours de la faim et de la malnutrition sont des paysans du « Sud » dont les bas revenus ne leur permettent pas d’acheter suffisamment de nourritures ou de s’équiper correctement pour produire par eux-mêmes de quoi manger.

En effet, les agriculteurs du « Sud » dont l’outillage est manuel ne peuvent guère résister à la concurrence des exploitations moto-mécanisées des États-Unis, de l’Union européenne, d’Argentine et du Brésil, dont la productivité du travail est environ deux cents fois supérieure. Sur le marché de Dakar, les sacs de riz en provenance de Casamance et des USA se vendent à peu près aux même prix, alors même qu’il y a 200 cent fois plus de travail dans les premiers que dans les seconds. Le paysan casamançais ne peut donc vendre son riz que s’il accepte une rémunération 200 fois moindre que celle perçue par son concurrent nord-américain. Comment peut-il, dans ces conditions, dégager des revenus suffisants pour manger correctement et investir dans son exploitation ?

Doubler la production agricole

Notre monde compte déjà plus de 7 milliards d’habitants et nous y serons sans doute un peu plus de 9 milliards en 2050. L’agriculture va donc être de plus en plus sollicitée dans les années à venir et il nous faut sans doute envisager un doublement de la production végétale mondiale d’ici 2050 sans augmenter les surfaces cultivées.

La « révolution verte » a permis de sélectionner et créer des variétés à haut potentiel génétique de rendement. Au nom des économies d’échelle, il n’a été sélectionné qu’un nombre limité de variétés dont la vocation était de pouvoir être cultivées en toutes saisons et sous toutes les latitudes. Mais cultivées en dehors de leurs lieux de sélection, ces variétés se sont souvent révélées très sensibles à la concurrence des herbes adventices et aux dommages occasionnés par les insectes ravageurs.

Plutôt que d’utiliser des variétés et races adaptées à la diversité des milieux, les agriculteurs ont donc été contraints d’adapter les écosystèmes aux nouveaux matériels génétiques, quitte à ce que ces derniers soient très fortement artificialisés, simplifiés et fragilisés : travaux répétés des sols, irrigation et drainage, fertilisation chimique, épandage de pesticides, etc. La sélection d’un faible nombre de variétés et races conçues pour devenir « standard » est allée de pair avec un emploi sans cesse accru d’énergie fossile et a déjà abouti à des pertes considérables de biodiversité. En outre, il a fallu bien souvent procéder au préalable à de gros investissements, très coûteux, en matière d’irrigation, de drainage, de travail du sol.

L’efficacité et les ratios bénéfices / coûts de ces variétés dites « améliorées » semblent être finalement relativement faibles et incertains. La question se pose de savoir si c’est bien la génétique qui est aujourd’hui le facteur limitant de la production agro-alimentaire et des revenus paysans dans les pays du « Sud ». N’oublions pas que dans les pays anciennement industrialisés, les gains de rendement issus de « l’amélioration variétale » et de la fertilisation minérale ne sont intervenus qu’après des progrès décisifs en matière de cultures fourragères, traction animale, association agriculture-élevage et fertilisation organique.

Une solution simple et efficace : l’agro-écologie

Le fait est qu’il existe d’ores et déjà des techniques agricoles qui permettent d’accroître les rendements à l’hectare dans la plupart des régions du monde, sans coût majeur en énergie fossile ni recours intensif aux engrais de synthèse et aux produits phytosanitaires. Ces systèmes inspirés des principes de l’agro-écologie favorisent les circuits courts dans la gestion des flux de carbone, d’azote et de maints éléments minéraux : couverture maximale des sols par la biomasse végétale pour les besoins de la photosynthèse, utilisation des résidus de culture pour l’affouragement des animaux, recours aux déjections animales pour la fabrication du fumier et des composts destinés à la fertilisation des sols, remontée biologique des éléments minéraux issus de la désagrégation des roches mères vers les couches arables, régulation des cycles de reproduction des éventuels insectes ravageurs, maintien d’une grande biodiversité domestique et spontanée, etc.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les systèmes de production inspirés de l’agro-écologie sont des systèmes extrêmement intensifs. Ils utilisent intensément les ressources naturelles renouvelables (lumière, carbone et azote de l’air, éléments minéraux) ; ils exigent un travail soigné et utilisent beaucoup de main d’œuvre ; les rendements obtenus sont élevés. Par contre, ils font un usage très limité des ressources naturelles non renouvelables et des intrants chimiques.
Envisager l’essor d’une agriculture paysanne mettant en œuvre des pratiques inspirées de l’agro-écologie ne relève pas d’un quelconque passéisme : ces systèmes peuvent permettre de satisfaire les besoins alimentaires d’une population mondiale croissante, d’offrir des emplois et enfin de développer le marché intérieur.

D’après la conférence de Marc Dufumier jeudi 19 avril au CCFN et un article : Repenser l’agronomie et les échanges internationaux, concilier sécurité alimentaire et développement « durable », Marc Dufumier, Futuribles, n° 352, mai 2009, pp. 25-42.

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