Agricultures familiales /Les affirmations en débat

Agricultures familiales en Afrique de l’Ouest : nuancer les affirmations pour faire avancer le débat.

Bulletin de synthèse souveraineté alimentaire – Février 2015.

A la fin des années 90, l’émergence du concept d’ « agriculture familiale » (AF) marque le début des discussions sur le devenir des agricultures ouest-africaines.

Quinze ans plus tard, l’AF est mieux connue, définie, documentée. Organisations paysannes (OP), ONG, chercheurs, mais aussi organisations internationales, Etats et organisations régionales semblent s’accorder sur l’importance de ce modèle de production dans la région.

Mais cet apparent consensus ne dissimule-t-il pas de réelles divergences, des réponses trop simplistes face à des questions d’une grande complexité ?

L’agriculture familiale est l’objet de beaucoup de simplifications, mais aussi d’oppositions fortes : pour les uns, elle est « engluée dans la misère », alors que pour d’autres, elle est performante et résistante à toute épreuve. A la lumière des connaissances et prises de position exprimées notamment lors de l’Année Internationale de l’Agriculture Familiale (AIAF), ce bulletin décortique quelques affirmations souvent rebattues, afin de restituer la complexité des réalités.

- Affirmation n°1 : « L’agrobusiness est en train de tuer l’agriculture familiale » : Certes oui, le débat est vif mais le phénomène est encore limité à l’échelle de l’Afrique de l’Ouest.
- Affirmation n°2 : « Les agricultures familiales sont de plus en plus pauvres et vulnérables » : Certes, de très nombreux agriculteurs et éleveurs sont vulnérables mais pas tous !
- Affirmation n°3 : « Les agricultures familiales s’adaptent et innovent face à l’épuisement des ressources naturelles » : Certes, les agricultures familiales s’adaptent mais il existe des freins à l’innovation et, là encore, toutes les agricultures familiales ne sont pas en mesure de s’adapter.
- Affirmation n°4 : « Les agricultures familiales ne peuvent rivaliser avec les importations pour nourrir les villes » : Certes, les importations de produits à bas coût font concurrence aux agricultures familiales mais la part des importations dans les paniers urbains est à relativiser.
- Affirmation n°5 : « Par leur nombre, les exploitations familiales sont capables de couvrir la demande alimentaire des villes » : Certes, les agricultures familiales sauront fournir en quantité les produits de consommation de base mais sauront-elles seules répondre aux nouvelles exigences de qualité ?
- Affirmation n°6 : « La protection aux frontières est la solution pour les agricultures familiales » : La protection est certes une arme contre la concurrence déloyale mais elle ne règle pas le problème de la volatilité des prix.
- Affirmation n°7 : « Les exploitations familiales sont le remède au chômage » : Certes, les opportunités d’emploi sont très limitées hors de l’agriculture mais toutes les agricultures familiales ne pourront rémunérer suffisamment leurs travailleurs.
- Affirmation n°8 : « Un secteur agricole dynamique est synonyme de secteur attirant pour les jeunes » : Certes, le dynamisme du secteur agricole peut être un tremplin pour les jeunes mais encore faudrait-il que les jeunes y voient la perspective d’un métier viable et valorisant.
- Affirmation n°9 : « Les difficultés des agricultures familiales s’expliquent par la faiblesse des dépenses publiques » : Certes, les financements publics alloués à l’agriculture restent faibles, voire dérisoires mais il ne faut pas perdre de vue un problème tout aussi préoccupant : l’accès des producteurs aux services financiers (crédit, épargne, assurance, etc.).

- En guise de conclusion

La question des agricultures familiales a longtemps été caricaturée et les réponses apportées, trop mécaniques. Au moment où les parties prenantes de l’Ecowap s’interrogent sur une deuxième étape de la politique régionale, certaines questions majeures méritent d’être instruites pour améliorer le ciblage de la politique. La conclusion de cette synthèse, sans viser l’exhaustivité, tente d’en mettre quelques-unes sur la table.

Concernant le débat « agrobusiness » vs « agriculture familiale », les arguments technico-économiques semblent se croiser et nourrir un débat infini, que seul un choix de société pourra clore, entre profit financier (forte rentabilité, forte productivité du travail) et développement territorial et durable (fort contenu en emploi, productivité de la terre, sécurité). En attendant, ce non-choix laisse la porte ouverte aux « plus forts », et aux abus éventuels.

Ensuite, les agricultures familiales recouvrent des réalités disparates. L’effritement des systèmes exacerbe la vulnérabilité des moins nantis. Quel sera le devenir des exploitations les moins bien dotées, qui n’ont pas de perspectives d’agrandissement ? Les exploitations les plus vulnérables doivent-elles être accompagnées vers une sortie du secteur agricole, ou épaulées par des filets de protection sociale ?

La problématique de l’installation des jeunes découle directement de ces questionnements. Faut-il privilégier le nombre, en réponse à la forte demande d’emplois, ou rechercher des installations pérennes, basées sur des structures d’exploitations viables, avec des jeunes professionnels formés et bénéficiant d’un ensemble d’appuis (financements adaptés, fiscalité, couverture des risques, appuis-conseils, etc.) ?

Enfin, la croissance de la demande et sa segmentation posent un véritable défi au secteur rural. Est-ce une opportunité pour les agricultures familiales que de développer la transformation pour accroitre leur valeur ajoutée ? La capacité des exploitations familiales à nourrir les villes ne dépendra-elle pas plutôt des autres acteurs en aval de la production ?

Comment promouvoir des politiques ciblées sur les spécificités de l’artisanat et de l’industrie agroalimentaire, aujourd’hui largement absentes ?

Le rôle des politiques agricoles, leur portée et spécificité est ainsi mise en débat. Comment pourront-elles s’adresser à la diversité des exploitations, depuis les petites exploitations pluriactives, jusqu’aux exploitations dont l’activité agricole est largement dominante ? Malgré l’ensemble des travaux réalisés, les institutions nationales ont-elles une connaissance suffisante de leurs agricultures et de leurs mutations ? Comment articuler les politiques sectorielles nationales et régionales, avec des politiques centrées sur les territoires ? A l’heure privilégiée où l’avenir des agricultures ouest-africaines n’est pas encore écrit, il semble urgent que les décisionnaires, partenaires techniques et financiers, ONG, s’alignent sur un choix de société commun pour instituer les politiques de demain.

Télécharger ici Document disponible sur le site Inter-réseaux Développement rural, 8 pages, 650 Ko.

Les Bulletins de synthèse Souveraineté alimentaire sont une initiative conjointe d’Inter-réseaux Développement rural et de SOS Faim Belgique. Ils visent à produire une synthèse sur un thème lié à la souveraineté alimentaire, à partir d’une sélection de références jugées particulièrement intéressantes. Ils paraissent tous les trimestres et sont diffusés par voie électronique.

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