La « vente » des terres pastorales à Bitinkodji

La « vente » des terres pastorales à Bitinkodji

Les éleveurs se plaignent de la diminution des espaces pastoraux. La pression démographique entraine en effet un changement d’usage de ces espaces au profit de l’agriculture ou de l’urbanisation.

L’Association pour le Redynamisation de l’Elevage au Niger (AREN) et le RECA ont cherché à évaluer la situation dans la commune de Bitinkodji (département de Kollo), à proximité immédiate de Niamey, en se basant sur l’Inventaire des ressources du domaine de l’Etat dans le département de Kollo fait par la Commission foncière départementale de Kollo en 2012 et 2013.

Pour ce faire, l’AREN et le RECA ont utilisé en particulier la liste des ressources du domaine de l’Etat inventorié dans la commune de Bitinkodji en annexe 1 du rapport et la liste des espaces et ressources domaniales vendues et loties (annexe 3). Rappelons que suite à ce travail d’inventaire réalisé par la Cofodép de Kollo, un arrêté portant sécurisation des ressources partagées dans la commune de Bitinkodji a été pris par le préfet de Kollo (arrêté n° 001/DK/2014).

1. La situation des espaces pastoraux à Bitinkodji

La commune de Bitinkodji comprend un certain nombre de plateaux. Ces plateaux ne sont pas cultivés : ils sont utilisés par les villageois et les éleveurs de passage pour le pâturage des animaux, la cueillette et le ramassage du bois. Ils font donc partie des espaces pastoraux.

L’AREN et le RECA ont réalisé, avec l’aide de personnes de la zone, un inventaire des espaces bornés situés dans ces espaces pastoraux (en l’occurrence les plateaux) dans la commune de Bitinkodji de septembre à novembre 2014. Ces espaces bornés ont été géo-référencés et reportés sur des photos satellites.

Cet inventaire montre qu’une superficie importante des ressources pastorales est bornée, et donc appropriée par des personnes privées. Les superficies bornées relevées sur la carte peuvent être estimées à 5 817 ha, pour une commune dont la superficie totale est estimée à environ 100 000 ha, soit 6 % de la superficie totale de la commune.

2. Les titres fonciers de plus de 10 ha à Bitinkodji

En prenant en compte les titres fonciers de plus de 10 ha délivrés à Bitinkodji et les titres fonciers de la commune 5 de Niamey qui semblent être à Bitinkodji, on obtient une superficie de 9 245 ha, correspondant à 9% de la superficie totale de la commune, soit une superficie encore plus importante que les surfaces bornées relevées par l’AREN et le RECA.
Aucun de ces titres n’est au nom de l’Etat.

3. Le statut des terres pastorales et les droits fonciers existant sur ces ressources
- 3.1. Selon la coutume

Selon la coutume, ces terres font partie du « hauzu » (terme fufuldé). Ce sont des terres qui appartiennent à la communauté et sur lesquelles les villageois bénéficient de droits d’usage, notamment pour l’accès au pâturage, la cueillette et le ramassage du bois. Les éleveurs de passage bénéficient également d’un droit d’usage.

Le chef de village gère ces terres au nom des villageois. A la mort du chef, les terrains de chefferie sont transmis non pas à ses héritiers, mais au chef qui lui succède. Ce mode de succession montre bien que le chef n’est pas propriétaire de ces terres. Traditionnellement, les terrains de chefferie ne se vendent pas.

- 3.2. Selon la loi

4. Des contestations sur l’occupation de ces espaces

Cette occupation des terres pastorales ne va pas sans problème : de nombreux cas de contestation de l’occupation ou du bornage de ces espaces peuvent être relevés dans la commune de Bitinkodji.

Commentaires de l’AREN et du RECA :

Dans la coutume comme dans les textes, les terres de hauzu non cultivées ou les terres pastorales ne sont pas des terres privées. Leur usage est commun, elles relèvent du domaine public du fait de leur vocation pastorale et le chef de village a un pouvoir de gestion sur ces terres.

La présence de bornes indique que certaines personnes jouissent d’un titre foncier sur ces espaces pastoraux. Cela semble difficilement compréhensible : le domaine public est inaliénable, autrement dit il est théoriquement impossible d’acheter des terres sur le domaine public. En outre, le domaine public est imprescriptible : tout titre foncier établi dans le domaine public est donc nul de plein droit (article 787 du Code Général des Impôts).

Par ailleurs, les droits d’usage des populations riveraines n’ont pas été pris en compte lors de « l’achat » de ces terres : la loi prévoit en effet que les éleveurs ne peuvent être privés de leur droit d’usage prioritaire que pour cause d’utilité publique après une juste et préalable indemnisation.

Le comité ad hoc chargé d’instruire et de faire des propositions au Gouvernement sur la question de l’accaparement des terres et la privatisation des espaces pastoraux n’a pas pu rendre ces recommandations au gouvernement début juillet comme prévu. Voici quelques recommandations qui peuvent être faites pour limiter le problème d’occupation et de vente des espaces pastoraux :
- Organiser réellement une procédure contradictoire (comme prévu dans les textes) à chaque immatriculation foncière. Cela implique que le terrain soit délimité, que les bornes soient posées, que les populations soient averties par un mode de communication adéquat (crieur public) et soient effectivement convoquées et présentes lors du bornage officiel.
- Inventorier soigneusement les espaces pastoraux les plus menacés et prendre rapidement les décrets de classement dans le domaine public de l’Etat correspondants, en premier lieu à proximité des grandes villes.
- Mettre en place un dispositif de partage de l’information foncière entre les Commissions foncières et la Direction des Affaires domaniales et cadastrales.

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